Texte : Isabelle Aubailly
Entre Annecy et La Clusaz, un chalet savoyard centenaire écrit sa propre histoire depuis 1939. Derrière sa façade alpine traditionnelle, les chambres du chalet ont été transformées en Suites. À l’arrière de l’hôtel, les chalets se sont multipliés toujours pensés pour créer un dialogue avec le paysage environnant.
La mer de nuages envahit la vallée d’Annecy tandis que les sommets enneigés du massif des Aravis dévoilent leurs courbes et leurs pics au coucher de soleil.
À Manigod, au-dessus des nuages, la famille Veyrat accueille les voyageurs sur la terre de ses ancêtres avec un sourire et une poignée de mains franche.
L’Hôtel de la Croix-Fry a été construit par les arrières grands-parents dans les années 30. Marie-Ange, la maman d’Eric et Isabelle, aujourd’hui propriétaires, a su y créer une table gastronomique reconnue dans toute la région.
.
C’est la fin de l’après-midi et nous sommes accueillis près du feu de bois dans un salon très chaleureux aux couleurs de la montagne : du bois clair, des lainages, des objets chinés, des tableaux colorés, des fleurs. Plusieurs salons pour se retrouver, puis des tables en bois recouvertes de nappes blanches regardent vers l’extérieur. Les larges baies découvrent la vue, unique, sur cette montagne immense et si belle. La neige est tombée hier, les arbres sont magnifiques saupoudrés de blanc. Vin chaud ou jus de pomme maison accompagnés de financiers moelleux et meringues croustillantes, le goûter est une institution ici comme chaque instant aux Chalets de la Croix-Fry.
À l’étage, neuf suites toutes réinventées en repaire de montagne joyeux et délicat. La métamorphose a permis d’élargir l’espace et de moderniser les salles d’eau, d’aménager les balcons en salon. L’objectif a été atteint en utilisant des matériaux bruts et naturels, accompagnés de pièces d’ameublement et de décoration rares, capables de raconter une histoire. L’habitation, construite vers 1939 dans une courbe face à la chaîne de montagnes, avait été pensée de façon à accueillir le maximum de lumière possible, un atout précieux pendant les courtes journées d’hiver. Presque un siècle après sa construction, le chalet avait conservé pratiquement inaltéré son style originel.
.
Derrière l’hôtel-restaurant, sur les anciennes terres agricoles, 17 chalets ont été construits sur de longues années formant un hameau montagnard sans aucune promiscuité́. De style rustique ou contemporain, ces nids douillets, intimistes et chaleureux, donnent l’impression d’être chez soi. Tout en bois et mobilier authentique savoyard, leur décoration raffinée leur confère une douce chaleur empreinte de sérénité. Julie, architecte et petite-fille de Marie-Ange nous raconte : « Ma grand-mère était passionnée par les meubles anciens, les objets et toute sa vie, elle a chiné ses armoires savoyardes en bois brut, ses bibliothèques de bois sombres, des objets du quotidien, des rouleaux de tissu de la région. Dans tous les chalets nous avons posé ses meubles en les décapant ou en les sablant pour leur offrir un air plus contemporain. »
Chaque chalet est unique car construit et réaménagé à différentes époques sous la houlette d’Eric dont la seconde passion est la menuiserie pour laquelle il fait preuve de talent et d’imagination. Certains sont des mazots, anciens greniers à bois, rénovés et agrandis pour loger 2 à 4 personnes. Ainsi il a su transformer le minuscule chalet en un espace très agréable avec cuisine, salle de bain, poêle à bois et large chambre. Le résultat laisse apparaître un éventail de surfaces en bois de différentes essences et une palette de couleurs inattendues, variant du chocolat au bourgogne. Leur caractère authentique n’empêche pas un confort très actuel. Julie a su mixer ancien et moderne et apporter à ces chalets une couleur unique. On aime les rideaux conçus dans un rouleau de tissu découvert au grenier dont le graphisme et les couleurs sont redevenus très actuels. Inspiré par les éléments d’architecture anciens, Éric et ses équipes ont soigneusement étudié chaque espace dans le moindre détail pour instaurer ici un sentiment de détente et une atmosphère empreinte de convivialité.
.
Les chalets les plus larges ont été construits plus récemment, mais toujours avec des matériaux anciens. Éric est le maître d’œuvre et constructeur de ces chalets. Pendant la période basse, le printemps et l’automne, il scie, il découpe, il rabote, il pose chaque poutre, chaque planche avec l’aide de Pierre, son bras droit et cousin. Julie dessine les plans, optimise les espaces et imagine l’ameublement et la décoration avec sa tante Isabelle. C’est une belle équipe où rien n’est laissé au hasard, chaque détail compte. L’art de la table, le linge de maison, les savons sont choisis avec soin et tous les objets apportent à chaque chalet son caractère.
« C’est ma maman qui réalise tous les tableaux et je lui passe commande pour chaque nouvelle pièce de chalet » dit Julie en souriant. En effet, beaucoup de toiles peintes à l’huile racontent une scène, un personnage, dans un style « vintage » et il semble qu’elles ont toujours été là, sur ces poutres de bois patinées par le temps.
.
Une large terrasse, un balcon, un jardin prolongent la vie vers l’extérieur avec cette vue majestueuse sur la chaîne de montagnes. Beaucoup de chalets proposent un jacuzzi posé sur une terrasse de bois protégée pour admirer le coucher de soleil ou les étoiles. Le luxe en pleine nature.
Il est l’heure de rejoindre la Table de Marie-Ange et de découvrir la cuisine d’Éric.
Dès notre entrée dans le chalet-restaurant un doux fumet nous accueille ainsi que le sourire de Mireille et de Pierre. Cousins d’Éric, ils sont associés à la réussite familiale de la Table et des Chalets.
Pierre va nous accompagner tout au long du dîner car il connaît parfaitement les différents plats imaginés par Éric et les meilleurs producteurs de vins de la région.
.
L’atmosphère feutrée du restaurant avec ses banquettes recouvertes de peaux de moutons, ses bois chauds et ses petites alcôves, l’éclairage doux contribuent au bien-être et au bonheur de ces instants gustatifs.
Le menu regarde vers la montagne et les produits locaux. Éric revisite les goûts de la Savoie d’autrefois et les saveurs de son enfance. Mais le poisson et les coquillages sont aussi à l’honneur car Éric a trouvé un poissonnier qui lui livre en direct toutes les semaines ses meilleurs poissons.
.
Chaque plat reflète sa personnalité́ et sa générosité́. Ravioles de homard et écrevisses du Léman, rissole aux cèpes, noisettes de filet de chevreuil rôties, filets de bœuf en cocotte, les plats se succèdent dans une atmosphère douce et chaleureuse. À chaque plat, Pierre, avec malice, nous raconte une histoire, celle de notre assiette et celle du viticulteur, d’un cépage, d’un suc. Nous découvrons des vins secrets, des domaines méconnus et pourtant de grande qualité qui s’adaptent parfaitement au parfum des crustacés ou à la tendresse des viandes.
.
Pour clore le dîner, Éric propose chaque jour son buffet de fromages et de desserts, connu dans toute la région pour la justesse de son choix et le parfum d’enfance de ces douceurs. La tarte au citron meringuée, la mousse au chocolat, les œufs en neige, la tarte tatin côtoient un incroyable Tiramisu et un soufflé glacé au Génépi à la saveur unique, recette secrète élaborée par M. Lenôtre lorsqu’Éric était son second dans une vie précédente.
On court vers notre chalet dans l’air glacé de la nuit sous des milliers d’étoiles qui scintillent dans le ciel pur. On s’endort vite, l’estomac bienheureux et la tête emplie de belles histoires.
.
Le soleil à travers les rideaux de coton blanc danse sur les poutres de bois. Il est temps de découvrir les pistes et les sommets de La Clusaz. Notre séjour oscille entre descentes à travers les sapins enneigées, balade sportive au sommet du Danay face à la chaîne des Aravis, promenade en raquette sur le plateau de Beauregard à la recherche d’empreintes de la faune locale. Les Savoyards sont sympathiques, ils adorent leur montagne et aiment à la faire découvrir. L’histoire des chalets de la Croix-Fry m’a séduite et j’aime à savoir qu’elle continue à travers le regard d’Éric et d’Isabelle mais aussi de Julie, arrière-petite-fille d’Aline Burgat.
.
Nouveauté : une série de chalets aménagés selon les tendances du moment.
Le dernier des chalets est Karavi, inauguré en 2020 et réalisé par des artisans locaux respectueux de l’art de bâtir régional, sous la houlette d’Eric : des espaces bien conçus, un décor authentique et une qualité de prestations sensibles dans le moindre détail, du choix des tissus à celui de la vaisselle. On s’y sent parfaitement bien, douillettement installé, et l’on ne se lasse pas de la vue à couper le souffle sur le massif des Aravis.
Il est conçu pour accueillir jusqu’à dix personnes avec ses quatre chambres et quatre salles de bain.
Mais pourquoi ce nom ? Karavi est tout simplement le patronyme de la fondatrice de l’auberge en 1939, la fameuse mémé Karavi, grand-mère d’Isabelle Loubet-Guelpa et d’Eric Guelpa qui veillent aujourd’hui aux destinées de la Croix-Fry.
Enfin désireux de rendre la montagne accessible à tous, Eric a conçu un chalet pour personnes à mobilité réduite, baptisé La Fnire, qui signifie fumoir en patois savoyard, du fait de sa proximité avec le fumoir du restaurant de l’hôtel, ce chalet de 110 m2 peut accueillir 7 personnes.
.
L’histoire
L’histoire des Chalets-Hôtel de la Croix-Fry depuis 85 ans est incontestablement une aventure familiale qui remonte à la quatrième génération de la famille Veyrat. À l’âge de 12 ans, comme beaucoup de jeunes à son époque, Aline Burgat, l’arrière-grand-mère, quitte sa Savoie natale pour Paris. Elle devient femme de chambre dans une maison bourgeoise de la capitale. Prise sous l’aile de la surintendante, elle y apprend les bonnes manières et surtout la cuisine. Trois ans plus tard, de retour dans ses montagnes, elle est embauchée dans le premier hôtel construit à la Clusaz. C’est là qu’elle rencontre François et l’épouse. Deux filles naîtront de cette union. Ils s’installent et construisent un chalet d’alpage. Aline ouvre alors en 1937 ce qui fut certainement l’une des premières tables d’hôtes en France pour accueillir les ramasseurs de champignons et les randonneurs.
.
À la fin de la guerre, c’est l’essor des sports d’hiver et la création des premières stations de ski.
.
Aline Burgat, pleine d’intentions, complète alors son activité en créant deux chambres aménagées dans la grange de la ferme. Vaches et premiers clients cohabitent. C’est le début de l’aventure ! Lina, sa fille, la rejoint pour l’aider.
.
Son mari, Pierre, achète et monte le premier téléski de la vallée en face de la maison familiale. Marc, son petit-fils, s’improvise moniteur.
Au fil des années, le chalet devient hôtel et sa table acquiert une solide réputation. Les enfants, Marc Veyrat chef triplement étoilé, et Marie-Ange Guelpa-Veyrat, ainsi que les petits-enfants, Éric et Isabelle, y font leurs premières armes. Alors que Marc prend son envol en créant son propre restaurant, en 1981 Marie-Ange reprend les rênes de l’établissement incarnant ainsi la troisième génération de femmes. Avec élégance et raffinement, elle redonnera au chalet son charme d’antan.
.
Fière de ses origines et attachée aux traditions de la région, elle souhaite faire de ce chalet d’alpage une vitrine pour la gastronomie et l’art populaire savoyard.
Passionnée de décoration, elle troque les meubles des années 70, symboles de modernité, contre des antiquités et bibelots alpestres dont les gens ne veulent plus et décore avec goût et amour chaque pièce de l’hôtel. Elle achète également de vieux chalets qu’elle fait démonter, numéroter et stocker. Ils serviront aux agrandissements des Chalets hôtel de la Croix-Fry.
.
Chaleureuse et attentive au bien-être de chacun, Marie-Ange a insufflé aux lieux une atmosphère accueillante et chaleureuse. L’ancien alpage devient un hôtel 3 étoiles avec un restaurant renommé.
Comme sa mère auparavant, Marie-Ange a su transmettre son amour des lieux à ses enfants, Isabelle et Éric, qui ont grandi et vécu dans cette montagne qu’ils connaissent aussi bien qu’elle.
